Un regard rétrospectif sur les vingt-cinq dernières années ne peut que confirmer que les thèses millénaristes étaient erronées. Le monde n’est pas terminé. L’arrivée de l’an 2000 n’a pas entraîné d’effondrement technologique, et les portes de l’enfer ne se sont pas ouvertes au son des trompettes de l’Apocalypse. Ironiquement, cependant, ces mêmes vingt-cinq années ont été marquées par ce que certains théoriciens sociaux appellent la lente annulation du futur : les crises économiques cycliques, la désarticulation des fondements sociaux et politiques de la démocratie, l’accélération technologique rapide et la certitude de l’urgence climatique nous conduisent à une situation d’incertitude radicale et au retour de propositions ultra-conservatrices. La précarité et le caractère temporaire du travail, la difficulté d’accès au logement ou encore l’impact de l’intelligence artificielle ont généré un énorme mal-être chez les travailleurs culturels.
Dans ce contexte, la sphère culturelle est devenue un espace de tensions sociales et politiques qui révèle le rôle de l’art au-delà de la fonction récréative et de divertissement à laquelle certains veulent le reléguer. L’engagement en faveur des droits culturels, qui se cristallise partout sur la planète depuis des années, est donc une stratégie qui va au-delà d’un cadre discursif. Il s’agit de transformer la manière même dont nous concevons la culture : non seulement du point de vue de l’accès, mais aussi du point de vue du droit à la création et à la participation. Le statut d’artiste est un symbole et un enjeu de ce changement de paradigme : de meilleures conditions de travail et fiscales pour les créateurs, ainsi que plus d’égalité et de diversité dans le secteur et dans les institutions. Il faut également intervenir sur l’intelligence artificielle et les plateformes, pour protéger les droits d’auteur et le travail des travailleurs culturels. De même, la nécessaire transformation de la culture fossile actuelle : il est nécessaire de revoir et de transformer, depuis les contenus jusqu’aux fondements productifs du système artistique, le rôle qu’il a joué dans la reproduction des dynamiques extractivistes et écocides.
Antonio Monegal dit que la culture est comme l’air que nous respirons. Même si elle peut paraître invisible, elle est une ressource vitale, un bien essentiel. La culture nous façonne autant que l’éducation. Au cours des vingt-cinq prochaines années, nous avons donc besoin que les institutions culturelles et artistiques jouent un rôle fondamental dans l’imagination d’avenirs alternatifs possibles, dans le renforcement de la démocratie et dans l’amélioration, au sens propre comme au sens figuré, de l’air que nous respirons.