Si l'on admet que, grosso modo, il existe deux types d'expositions, la dispensable et la nécessaire (avec toutes les nuances de gris intermédiaires souhaitées), celle consacrée par le MAMT à Josep Royo (Barcelone, 1945) reviendrait à être, pour plusieurs raisons, un véritable représentant du second groupe. Nécessaire, en premier lieu et comme le souligne très bien le responsable du projet, Carles Guerra, car il s'agit de restaurer rien de moins que l'artiste textile qui a réalisé une série d'œuvres monumentales pour Joan Miró : les tapisseries de Tarragone (1970 et 1972), celles du World Trade Center à New York (1974), celles de la National Gallery of Art à Washington (1977), celles de la Fondation Joan Miró à Barcelone (1979), ou celles de la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence (1980), parmi tant d'autres. Des tonnes et des tonnes de laine sont restées, souligne Guerra, principalement de l'ancien moulin à farine situé à côté du port de Tarragone.
Cependant, à côté de "l'artisan auxiliaire" (si l'on peut dire), il y a le créateur avec sa propre personnalité qui travaille à non seulement honorer le travail du peintre mais à nous rappeler que la peinture, en tant que concept, elle adopte des formes souvent insoupçonnées. et prend en charge. Et c'est que, grâce aux apports d'artistes tapissiers comme Royo lui-même ou le grand Jean Lurçat - expliquait le critique et philosophe Arnau Puig dans un texte consacré au Grau-Garriga -, "il est allé plus loin, non seulement en réduisant la coloration de les tapisseries à celle des couleurs essentielles des fibres utilisées mais, en plus, en mettant en valeur la qualité matérielle de ces fibres et en les faisant travailler non seulement dans le simple plan bidimensionnel du cadre mais en leur donnant des dimensions volumétriques réelles, remplaçant ainsi le impact optique de la tapisserie classique avec une tangibilité tactile qui fait apprécier les qualités des supports". La tapisserie, en ce sens, devient une peinture maximisée qui, grâce à son caractère théâtral, met parfaitement en scène les mouvements revendiqués par Rothko par rapport au plastique – « vers l'intérieur et vers l'extérieur, en bas et au-dessus, en diagonale et horizontalement » – et, à la en même temps, il s'est offert le luxe d'incorporer des éléments réels en les emprisonnant dans sa toile, en les transformant en chrysalide et, si nécessaire, en les expulsant vers l'extérieur une fois digérés et transmutés pour le souvenir.
Eh bien ceci : on dit souvent (à la suite de Pline) que la naissance de la peinture est due au geste atavique de la fille du sculpteur Butades (Kora ?), qui n'était autre que celui de tracer l'ombre de l'amant, projetée sur le mur, juste avant son départ pour la guerre... L'art, en ce sens, aurait son origine dans un fantôme, ou dans la tentative de capter (représenter) quelque chose d'absent. Pourtant, l'art aurait aussi pu naître dans le geste d'une Pénélope ou d'une Arachné : entre la volonté de changer la réalité et l'attitude passive de l'accepter comme un donné, il y a une sorte d'activité subtile qui rappelle le travail des couturiers dans ce elle reconstruit le monde à travers un patient tissage qui demande à être réalisé avec le plus grand soin. Néanmoins, le spectacle de Josep Royo est un excellent rappel du fait qu'au lieu d'invoquer des fantômes, on peut essayer de tisser la réalité.